jeudi 28 octobre 2010

Oscar Tuazon. I can’t see


Ce compte-rendu est paru dans la revue Critique d'art, n°36, automne 2010.
 

Cette première monographie faisant suite aux trois récentes expositions personnelles dont a bénéficié l’œuvre du sculpteur Oscar Tuazon (né en 1975 à Seattle) s’articule autour des ensembles de photographies rendant compte des dispositifs conçus à Vassivière, Berne et Pougues-les-Eaux en 2009-2010. Des vues d’autres réalisations depuis 2002 ainsi que les photographies prises par l’artiste complètent l’iconographie très fournie de cet ouvrage. Le parti-pris éditorial, à mi-chemin du catalogue et du livre d’artiste, correspond à l’appréhension  directe et physique que l’artiste privilégie pour sa sculpture : choix d’un grand format, reproductions en pleine page, souvent à bords francs, vues d’ensemble, gros plans et détails, absence de notices ou de légendes. Ces dernières sont rassemblées en fin de volume, comme le long et dense entretien entre l’artiste et les trois commissaires — l’unique texte traduit en français. Ce sont les propos de Tuazon qui délivrent des informations factuelles sur ses œuvres, sa manière de les concevoir et les réaliser : « Je ne pars pas d’un concept, déclare-t-il, je pars des conditions et je laisse ces conditions déterminer la forme autant que possible. »
Ses propres écrits, dont plusieurs extraits sont publiés, et les textes des différents auteurs — significativement, il s’agit de romanciers, dramaturges, poètes ou artistes plutôt que de critiques d’art — abordent son œuvre de façon non descriptive et non analytique, privilégiant une approche indirecte et décalée, littéraire et poétique. Les photographies de Tuazon répertorient quant à elle des constructions anonymes et précaires, des architectures vernaculaires ou « de survie », des traces d’occupation dans des paysages américains dépouillés de leur caractère épique. Elles révèlent le substrat matériel, sensible et mental sur lequel s’élaborent les sculptures. Si ces dernières sont en effet redevables, à des titres divers, des œuvres de Smithson, Serra, Matta-Clark, De Maria, ou encore d’Acconci et Barney, elles puisent également à la source de la pensée libertaire américaine. Héritières du Walden d’Henry-David Thoreau et des écrits « Vonu », inspirées par les figures de la contestation et de l’activisme politique (Mark Rudd et les Weathermen), nourries de l’esprit des communautés alternatives (Drop City) et des expériences de modes d’existence autonome, ces sculptures intègrent les principes du « Do It Yourself » prônés par la revue Dwelling Portably de Bert & Holly Davis, autant que les apports de l’architecture géodésique de Buckminster Fuller.
L’iconographie et les textes réunis dans cet ouvrage permettent de saisir comment la réactivation de problématiques élaborées dans le contexte des néo-avant-gardes et de la contestation politique américaines des années 1960-1970 trouve son actualité dans une œuvre qui, associant cohérence conceptuelle et qualités plastiques, témoigne d’une conscience évidente des forces et enjeux économiques et institutionnels propres à l’art d’aujourd’hui.


Oscar Tuazon. I can’t see
Paris : Do.Pe. Press, Paraguay Press, 2010
272p. ill en coul. 32 x 24cm fre/eng
ISBN : 978-2-918252-05-4. — 29€
Textes d’Oscar Tuazon, Thomas Boutoux, Karl Holmqvist, David Lewis, Eileen Myles, Chiara Parisi, Sandra Patron, Philippe Pirotte, Ariana Reines, Carissa Rodriguez, Cedar Sigo, Matthew Stadler

http://www.parcsaintleger.fr/accueil.php
http://www.ciapiledevassiviere.com/
http://www.kunsthalle-bern.ch/en/agenda/exhibition.php?exhibition=130
http://www.castillocorrales.fr/ppress/books_06.html