mardi 19 avril 2011

Eric Aupol, Vitae Nova - les espaces

L'article qui suit est le texte de présentation de l'exposition Eric Aupol, Vitae Nova - les espaces, qui se tiendra à la Galerie Polaris (Paris) du 7 mai au 7 juin 2011.


Vitae Nova, espace #3, Barcelona, 2009

La série des Espaces (2009-2011) marque une nouvelle étape dans la poursuite du projet Vitae Nova, vaste entreprise de typologie photographique de lieux et de personnes dans un contexte de flux migratoires, qu’Eric Aupol a entamée il y a trois ans. Cette série déplace et fait évoluer le protocole mis en place dans la précédente série Shadows, qui consiste en des portraits de migrants, n’appartenant de fait à la communauté que dans ses marges, dans l’instabilité du mouvement de migration ou de la situation de clandestinité, mais aussi dans l’espoir et l’attente d’une vie nouvelle.

La présence intense, autant que vacillante, de ces figures prises frontalement et à contre-jour cède ici la place à la retranscription de fragments de lieux d’accueil et d’hébergement des migrants, et de leur cadre de travail. Ces images délivrent cependant peu d’informations sur la nature des espaces en question et l’identité des personnes qui les occupent, hormis quelques indices laconiques : câble d’antenne de télévision, sac en plastique suspendu dans l’embrasure d’une fenêtre piles de vêtements pliés sur une tablette, feuilles de papier ou épais livre posé sur une table, broderie au motif de nature morte… Une part souvent importante de l’image est occupée par la blancheur laiteuse d’une source de lumière naturelle, provenant d’une fenêtre occultée par une feuille de calque, un store ou un rideau déjà présent, qui empêche le regard de porter vers l’extérieur. La douceur avec laquelle cette lumière enveloppe et nimbe les rares objets visibles contraste avec le tranchant de la géométrie qui structure l’image.

Cette proximité, cette forme d’intimité même, avec la chose photographiée, se conjugue au retrait silencieux dont le photographe est coutumier, évacuant tout pathos expressif et toute narration. Les photographies dressent un constat documentaire de ces lieux à la fois familiers et anonymes, souvent sans qualités esthétiques particulières, en même temps qu’elles les reconfigurent en des images dans lesquelles reflets, angles, lignes fuyantes confèrent une certaine instabilité aux espaces. De ce traitement plus abstrait, presque pictural, il résulte que rien n’y est nommé de façon univoque, que tout se tient au seuil de la description. Ces espaces complexes et ambigus, à la fois ouverts et clos sur eux-mêmes par la lumière, ne s’ouvrent que sur l’évocation d’un dehors constamment dérobé, par l’absence de vue sur l’extérieur.
Les absences et les manques — de profondeur, d’horizon, d’occupant visible, de signes d’appropriation — caractérisent surtout ces lieux ordinaires, dont tout indique qu’ils sont davantage traversés, ou occupés de façon très provisoire, que véritablement habités ; que le corps semble ne jamais pouvoir y trouver de repos durable, qu’il n’y est que de passage, en transit.

Les photographies d’Eric Aupol suscitent ainsi un questionnement silencieux mais obstiné des modalités et des critères d’appartenance à la communauté — ou de l’exclusion. Liant étroitement pensée de l’image et conscience politique, elles dessinent « en creux » la cartographie incertaine d’une communauté des marges — une communauté à venir, celle de la multitude des « vies nouvelles » en attente.

Cédric Loire

Galerie Polaris - Bernard Utudjian
15 rue des Arquebusiers, 75003 Paris
33 (0)1 42 72 21 27