dimanche 30 mai 2010

Adam Panczuk, Petites poésies rurales



"Sans titre", série Karczeby, 2008, Inkjet archival print, 90x90cm.
Photo Adam Panczuk, Courtesy La Galerie Particulière

Au sein d’une production photographique largement tournée vers l’usage de la couleur, souvent plus propice à saisir le sentiment d’immédiateté du monde contemporain, le choix du noir et blanc confère à l’œuvre d’Adam Panczuk (né en 1978) l’élégance d’un certain classicisme. Pour autant, ses photographies ne sauraient être réduites à de simples avatars d’un académisme esthétisant. Au contraire, cet anachronisme apparent du noir et blanc sert un projet à la fois ambitieux et intime, où l’auteur pose un regard quasi anthropologique sur les figures de sa propre histoire pour en proposer une forme d’archivage subjectif. En effet, les images de la série In the rythm of the land saisissent des bribes de vie d’une communauté paysanne de Podlasie, une région de Pologne orientale dont l’artiste est lui-même originaire, tandis que l’autre série, intitulée Karczeby, en recense les habitants, sobrement cadrés en pied, solitaires et comme plantés dans ce sol qui les nourrit depuis des générations. Toutes deux réalisées en 2008-2009, ces deux séries traduisent l’influence de l’œuvre des grandes figures de ce qu’Olivier Lugon, citant Walker Evans, a appelé « style documentaire » (1).
Les photographies de la série Karczeby allient en effet la frontalité monumentale, digne et émouvante des Hommes du XXème siècle de Sander à un sentiment de décalage et d’étrangeté proche de celui que peuvent susciter certaines images de Diane Arbus. Dans ces portraits de paysans ordinaires font irruption une fantaisie et un imaginaire s’exprimant dans les détails de quelques accessoires et d’une mise en scène choisie par les personnes photographiées : une vieille femme drapée dans un filet debout au milieu des champs, un jeune homme surgissant d’un panier tressé, un autre dont le corps est dissimulé par une peau de loup tendue comme un bouclier… La force qui se dégage de ces images tient également à des choix plus techniques : point de vue implacablement frontal et faible profondeur de champ détachent puissamment les figures d’une impeccable netteté sur un arrière-plan plus incertain.

 "Sans titre", série In The Rhythm of The Land, 2008-2009, Inkjet archival print, 41 x 53 cm.
Photo Adam Panczuk, Courtesy La Galerie Particulière

Plus dynamiques et contrastées, les photographies de la série In the rythm of the land s’attachent à inventorier les activités quotidennes des habitants de cette région rurale. Elles ne sont pas sans rappeler quelques unes des images des Américains de Robert Frank : sensation similaire d’immersion au plus profond du pays et des myhtes qui l’habitent, même si l’empathie du photographe ne s’exprime pas ici, contrairement à Frank, par le « grain » et les « défauts » volontairement introduits dans l’image, mais par des cadrages d’apparence très architecturée, une lumière franche et un traitement plus net et distancié, toutefois non dénué d’humour.
Bien sûr, et heureusement, les photographies d’Adam Panczuk s’affranchissent des modèles qui les ont — peut-être — inspirées. Au-delà de ces proximités formelles, elles me semblent surtout profondément liées — sans que je parvienne à nommer précisément la chose — à cette forme d’esprit qui traverse et irrigue la littérature et le cinéma d’Europe centrale et orientale, mêlant à un goût pour le merveilleux et l’absurde, une finesse d’approche psychologique, une fatalité et une certaine grâce.
Une fatalité, tant il apparaît inéluctable que le mode de vie de cette communauté viscéralement attachée à sa terre — et par conséquent la communauté elle-même — est promis à disparaître, balayé par l’économie mondialisée. Une certaine grâce, qui semble n’appartenir qu’à celles et ceux dont l’existence en sursis est peut-être la plus haute forme de résistance.

(1) Olivier Lugon, Le style documentaire. D’August Sander à Walker Evans 1920-1945, Macula, Paris 2001.

Adam Panczuk. Petites poésies rurales
Jusqu’au 20 juin 2010
La Galerie Particulière, 16 rue du Perche, 75003 Paris, 01 48 74 28 40

Une sélection de photographies d’Adam Panczuk est également présentée aux Transphotographiques de Lille, jusqu’au 20 juin également.

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