mardi 20 juillet 2010

Contreformes. Arnaud Vasseux, L'art dans les chapelles



Les sculptures d’Arnaud Vasseux entretiennent des relations complexes avec la chapelle Saint-Nicolas de Pluméliau qui les abrite — ses qualités d’espace et de structure, ses éléments de décor, sa charge historique et symbolique. Elles n’ont cependant pas été conçues « à partir » du lieu — elles n’en sont pas un commentaire, ni ne correspondent aux pratiques propres à l’in situ.
Dans ce contexte architectural et symbolique très fort, ces œuvres jouent leur propre partition : loin de le célébrer, elles ménagent constamment l’approche et l’esquive, la réponse et le contre-pied. Les matériaux utilisés, empruntés au catalogue des produits du bâtiment ou de l’industrie légère — bois de charpente, filet de protection pour échafaudage, et plâtre, matériau « à prise », projeté, moulé, parfois pigmenté — font l’objet de manipulations inhabituelles exploitant leurs propriétés physiques, leurs possibilités et limites techniques, engendrant des formes audacieuses, énigmatiques et fragiles.


Dans le transept, un haut tronc de cône de section elliptique, tournoyant et transparent — presque une épure numérique, mais matérialisée, géométriquement imparfaite — tire sa forme de l’action conjuguée de son propre poids, de l’air et de la force centrifuge. Le mouvement de rotation interrompu, la transparence disparaît, le filet s’affaisse en plis lourds et droits. Produisant tour à tour une sensation d’élévation et d’affaissement, de retour à l’informe, cette danse célibataire répond au processus à l’œuvre dans les autres sculptures. Celles-ci — les « voiles » blancs et la « poutre » noire — sont ce qui subsiste au terme d’une mise en œuvre lourde et complexe. Leur courbure garde la mémoire du processus de réalisation au cours duquel le plâtre frais change d’état, tire et fléchit leur matrice instable, mais se fige avant la chute. Se déployant autour d’un creux, d’un manque, elles renvoient aussi aux nombreux éléments architecturaux issus d’une disparition : arrachements de maçonnerie, arcade et oculus murés, fenêtre aveugle, trous de boulins — non des formes, mais des contreformes.


En dépit de la grâce qui semble les habiter — et les maintenir debout —, ces œuvres ne procèdent pas d’une idéalisation de la matière ni d’un positivisme expérimental, mais d’un bas-matérialisme qui, face aux codifications présidant à l’édification d’un lieu de culte, fait profondément écho aux accents profanes des sculptures des sablières. Ces dernières témoignent de survivances iconographiques et stylistiques étrangères au christianisme et à l’humanisme renaissant — comme une incitation pour Arnaud Vasseux à prendre ses distances et ne pas céder à l’emprise du lieu. En effet, la fragilité de ces œuvres n’est pas une image de sa portée symbolique et métaphysique. Indéplaçables, éphémères, non reproductibles, non échangeables, les sculptures d’Arnaud Vasseux reposent sur une économie de la dépense et de la perte. Elles ne sont pas des objets, et ne sauraient donc être assujeties au régime de la marchandise — ce qui, tout comme l’intensité de l’expérience qu’elles suscitent, donne la mesure de leur portée politique.

(Texte paru dans le catalogue de l'édition 2010 de L'art dans les chapelles)
Photographies © Arnaud Vasseux


L'art dans les chapelles
Pays de Pontivy-Vallée du Blavet / Morbihan / Bretagne
Jusqu'au 30 août,
tous les jours (sauf mardi) 14h-19h; et les 3 premiers week-ends de septembre, samedi et dimanche 14h-19h
Renseignements www.artchapelles.com


samedi 10 juillet 2010

Frédéric Diart, quando stanno morendo/ Édouard Prulhière, pater paintings III

À voir si vous êtes de passage cet été en Bourgogne, cette exposition confronte, jusqu'au 8 août, les œuvres de Frédéric Diart (né en  1966) et Édouard Prulhière (né en 1965) dans l'espace singulier d'une maison de village inhabitée.

Pour l'occasion, un catalogue a été édité, avec un texte de Patrice Ferrari (Président d'Esox Lucius) et un essai dont je suis l'auteur.
32 pages, format 24 x 16 cm, illustrations en couleurs, 8 €. Il est disponible auprès de
Esox Lucius, Les Sertines, 71110 Ligny-en-Brionnais (+3 € de frais de port). 03 85 25 86 56. asox@free.fr.

"Quando stanno morendo, Pater paintings III : deux titres pour une même exposition réunissant deux artistes d'une même génération, Frédéric Diart et Édouard Prulhière. D'emblée, cette particularité donne une indication du mode selon lequel leurs œuvres respectives cohabitent dans les différents espaces de la maison qu'elles investissent pour un temps. "Cohabitation" semble bien le terme adéquat: non que les artistes aient refusé de se confronter à l'autre, d'instaurer un échange entre leurs œuvres. Au contraire, celles-ci s'approchent ou se rencontrent en divers endroits de la maison — séjour du rez-de-chaussée, palier à l'étage, chambre la plus vaste, cabinet de toilette. Mais le dialogue opère davantage par petites touches répétées, points de contact, tangentes de trajectoires individuelles bien spécifiques."
(Extrait de mon essai, "Tangentes")

Quelques vues de l'exposition (© Ludovic Gueriaud):

Édouard Prulhière, Frédéric Diart


Frédéric Diart

Édouard Prulhière


Premier plan: Frédéric Diart; au fond: Édouard Prulhière (détail)


Frédéric Diart, Édouard Prulhière