(paru dans Archistorm #33, octobre-novembre 2008)
Vue de l'exposition Jean-Pierre Pincemin, Tanlay
Hormis leur appartenance commune à une génération apparue à la fin des années soixante, dans un contexte dominé par les néo-avant-gardes, tout semble devoir séparer Fred Sandback (1943-2003) et Jean-Pierre Pincemin (1944-2005).
Occultés par des individualités emblématiques de l’air du temps ou identifiables par l’emploi de signes récurrents, l’un et l’autre demeurent des figures singulières aux parcours mal connus.
Les sculptures de Sandback se réduisent dès 1967 à un plan ou un volume géométrique « sans intérieur », obtenu avec des fils colorés, textiles ou métalliques, tendus sur les murs ou dans l’espace. Ces caractéristiques, comme la formation de l’artiste au contact de Judd et Morris, ont durablement associé sa pratique à l’art minimal.
Ces œuvres, intégrant une part d’illusion, projettent dans l’espace un dessin idéal, proche d’un mazzochio, et activent les plans et volumes d’air définis par le tracé des fils. Ainsi Ten-part vertical construction (1996-2008) procure la sensation de plans transparents et mobiles. Parfois pénétrables, ces sculptures n’encouragent cependant pas le spectateur à les toucher, le tenant à distance par la densité de l’espace qu’elles contiennent sans l’occuper. Cette capacité à exister dans le peu qui est là est sans doute leur aspect le plus fascinant et poétique.
D’aucuns reprocheront la suite d’un parcours a priori sans nouveauté ni rupture. Sandback fait partie de ces artistes qui « tiennent la distance » avec une proposition a minima, dont la réitération n’est toutefois pas une simple reprise : c’est la recherche d’une vibration particulière et fragile, la mise à l’épreuve d’une efficacité incertaine par l’expérience renouvelée.
Autodidacte, Pincemin s’est formé au Louvre. Ses Carrés collés, sur toile libre (1969) précèdent de peu la formation du groupe Supports - Surfaces, auquel il est associé bien qu’ayant vite pris ses distances, pour des motifs politiques et esthétiques. Son parcours refuse ensuite toute progression linéaire. Palissades, Damiers, Cercles, Grandes Pleureuses (1980-85) sont construits selon un vocabulaire géométrique épuré qu’un évident plaisir de peindre enrichit de raffinements chromatiques, sans céder aux afféteries d’un métier emprunté. Les débordements dans les marges des glacis superposés, ainsi que les jeux de points à relier structurant les gravures dès les années soixante-dix sont la source de développements anarchiques de la grille initiale. Proliférant dans le tournoiement des sculptures en bois de rebut, celle-ci se mue en labyrinthes, arbres, constellations, dans les peintures qui se chargent, à partir de 1985, d’allusions figuratives. Le peintre enchaîne alors des suites magistrales — L’année de l’Inde, La dérive des continents, les Chasses au lion. Les égarements volontaires, l’élégante désinvolture de Pincemin ne doivent toutefois pas occulter un parcours dont la cohérence paradoxale repose sur la diversité de propositions et d’expériences, que l’exposition restitue avec beaucoup de finesse.
Loin d’avoir été boudés, de leur vivant, par les responsables de collections publiques et les collectionneurs privés, Sandback et Pincemin ont bénéficié du soutien d’observateurs attentifs et constants. Mais ils n’ont pas encore fait, en France, l’objet d’un travail qui les libèrerait d’attaches historiques trop serrées, et donnerait la pleine mesure de la singularité et de l’actualité de leurs parcours respectifs. L’un comme l’autre mérite, à l’évidence, une visibilité et une reconnaissance plus larges (1). Espérons que les belles expositions de cet été ne sont que le prélude à des manifestations d’une autre ampleur.
(1) Le musée de Grenoble a présenté une sélection d’œuvres de Sandback fin 2007 à la Tour de l’Isle. La rétrospective initialement prévue en 2003 au Musée de Bordeaux a dû être annulée suite à la disparition de l’artiste.
Le musée d’Issoudun a également présenté cet été une sélection d’œuvres de Pincemin.
Fred Sandback (21 juin – 12 septembre 2008), Galerie Nelson-Freeman, Paris
Jean-Pierre Pincemin (2 juin – 26 septembre 2008), Centre d’art de l’Yonne, Communs du Château de Tanlay.
À l’occasion de l’exposition est parue une publication réunissant plusieurs essais et entretiens par Patrick Grainville, Déborah Laks, Lucie Simoën et Jacques Py.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire